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Gothic SENEBRUS
28 août 2008

Autodafé barbu

kanar

© Kanar

Ce dessin illustrant la rentrée littéraire m'a donné envie de trouver un texte dont il est question sur internet au sujet des Autodafés. Cet écrit de Latif Pedram a été publié sur www.autodafé.org* en 2000. Petit problème, le web est faible, le web ne garde rien, il commet l'autodafé électronique en permanence et par conséquence, le site en question a disparu de la toile. J'ai donc fait un petit tour sur  web.archive.org, un site qui m'a réconcilié plus d'une fois avec ce médium qui, chaque jour, montre qu'il a aussi de grosses faiblesses. J'ai donc mis la main sur le texte dont voici quelques extraits. L'intégralité se trouve ici ( autodafe_pedram en .pdf)

 

Afghanistan: la bibliothèque est en feu / Latif Pedram ; trad. du persan par Guissou Jahangiri. - AUTODAFE n1, 2000
            
L'historien Ata-ol Molk Djoveini raconte l'arrivée de Gengis Khan à la mosquée de Boukhara, un grand foyer culturel de cette époque doté d'une immense bibliothèque  :
" Ils portèrent des coffres de livres et de manuscrits sacrés dans la cour de la mosquée et les vidèrent à terre, ils utilisèrent les coffres comme râteliers dans les écuries, ils burent des coupes de vin et firent appel aux musiciens de la ville pour s'amuser et danser dans la mosquée. Les Mongols chantèrent et crièrent pour s'assouvir, ils ordonnèrent aux imams, aux sages, aux doctes de la religion, aux chefs de clans et aux notables d'être à leur service et de monter la garde des chevaux. Gengis Khan décida de partir vers son palais, suivi par ses hommes qui piétinèrent les pages déchirées du livre sacré tombées parmi les débris. À cet instant Amir Imam Jalaleddin Ali ben Hassan Al-Rendi, chef religieux suprême de la Transoxiane, se tourna vers l'Imam Rokneddin Imamzadeh, l'éminent savant, et lui demanda : " Qu'est-ce qui nous arrive Molana ? Est-ce un rêve ou la réalité ? " Molana Imamzadeh répondit : " Ne dites plus rien. C'est le vent de la colère de Dieu qui souffle, et il ne nous reste plus de force pour parler. "
Le 18 août 1998, le vent de la colère divine a soufflé à nouveau sur Pol-i Khomri, une ville au Nord de l'Afghanistan…
Par la petite fenêtre de la cachette où je m'étais réfugié, je regardais les Taliban brûler les livres sur la place principale de la ville. J'étais le triste témoin de l'autodafé des 55 000 livres du centre culturel Hakim Nasser Khosrow Balkhi. C'était comme si, déguisé en Mollah Omar (le chef des Taliban), Gengis Khan et son armée étaient entrés dans la ville pour répéter l'événement le plus tragique de notre histoire. À cet instant-là, moi non plus, je n'avais pas la force de parler. Je connaissais l'histoire de la destruction des Maisons de sciences par les Mongols. J'avais lu aussi les récits du saccage de la bibliothèque ismaélite par l'armée d'Holakou Khan et plus loin dans l'histoire, l'incendie de Persépolis par Alexandre. Cette fois-ci, il ne s'agissait pas du récit de Rachid-olddin Fazlollah, ou de Ata-ol Molk Djoveini. C'était un événement qui se déroulait sous mes yeux à l'aube du troisième millénaire. L'intellectuel a le devoir d'être le témoin privilégié de son temps, mais j'aurais préféré ne jamais être le témoin du martyre de la spiritualité, de la culture et du livre par les agents de l'ignorance et de la sorcellerie. C'est par ce retour de la tragédie tant de fois répété dans l'histoire de notre civilisation que l'Afghanistan est entré honteusement dans le XXIe siècle.

(...)

S'il est un point commun entre les trois tyrannies qui ont dominé la société afghane, celle des Mongols, celle des Communistes, et celle des Taliban, c'est bien la haine du livre et sa destruction systématique. La prise de pouvoir par le Parti communiste marque le commencement de la liquidation des non-conformistes. Une montagne de livres de la bibliothèque de l'université de Kaboul jugée " bourgeoise " ou " capitaliste " par le Parti démocratique, a été rassemblée et détruite. Lorsqu'on ne pouvait détruire tous les livres, ils étaient mis sous scellés et moisissaient dans les caves. Pendant les dictatures sanglantes de Taraki et d'Amin un grand nombre de jeunes et d'intellectuels ont été emprisonnés ou exécutés simplement pour avoir lu ou possédé des livres qui ne correspondaient pas à " la ligne du Parti ".


Nous avons vécu des autodafés continuels / Latif Pedram ; propos recueillis par Mona Chollet ; trad. par Guissou Jahangiri - cet entretien a été réalisé le 20 septembre 2001

En tant que lettré et citoyen afghan, Latif Pedram a connu successivement deux systèmes totalitaires : le communisme soutenu par l'envahisseur soviétique, puis, avec la prise de pouvoir des taliban, l'islamisme. Accueilli en résidence à Suresnes, en région Ile-de-France, il raconte le passage d'un régime qui autorisait les activités artistiques dans un certain cadre, à un autre, qui les interdit complètement. À l'heure où il craint que la population afghane paie un lourd tribut lors d'une attaque des Etats-Unis contre le régime taliban - qu'ils ont contribué à mettre en place -, Latif Pedram fait revivre le passé littéraire raffiné d'un pays martyrisé, dont toute l'histoire est en train d'être effacée. Et met en lumière, non seulement la genèse de l'islamisme afghan, mais aussi le contexte plus complexe qu'oblitère parfois la seule étiquette de l'intégrisme.
            
(...)       

Comment avez-vous quitté l'Afghanistan ?

C'est une histoire ancienne maintenant… Après l'entrée des taliban à Kaboul, je me suis réfugié dans le nord du pays. J'ai enseigné à l'Université de la ville de Pol-i Khomri. J'avais la responsabilité de la bibliothèque du centre culturel Hakim Nasser Khosrow Balkhi, qui comptait 55 000 volumes, dont des manuscrits anciens. Tous ont été brûlés par les taliban lorsqu'ils ont pris définitivement la ville, en août 1998. En 1997, ils étaient déjà arrivés dans la région, mais ils en avaient été délogés. Cette fois, ils sont restés, et je me suis enfui dans la montagne. J'ai traversé la rivière, et je suis arrivé au Tadjikistan.

*Tous les textes disponibles sur www.autodafe.org peuvent être librement reproduits et diffusés, à l'exclusion de toute publication sous forme de livre, revue  ou journal et en dehors de tout usage commercial.
© Parlement international des écrivains


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